Publier et Editer des Livres dans les Langues Nationales

Agnes Gyr-Ukunda

Avant de parler de la publication en langue nationale et montrer l’expérience des Editions Bakame, j’aimerais d’abord dire un mot sur l’auteur. Qu’est ce qui se passe avant qu’un livre arrive dans les mains du lecteur. Quelle est la langue qu’utilise l’écrivain pour intéresser son jeune lecteur, comment cela se passe au niveau de l’écriture ?

Dans les pays comme le notre où la littérature pour enfant et la jeunesse est encore à ses débuts et où les maisons d’édition en langue nationale sont peu nombreuses, on peut se poser la question de savoir s’il existe des écrivains pour cette littérature pour l’enfance et la jeunesse ? Et s’ils existent pourquoi on ne les lit pas? Cela fait réfléchir sur la question de la politique de la chaîne du livre (auteur - illustrateur - éditeur - imprimeur- libraire - lecteur) qui n’existe pas ou qui n’est pas solide dans plusieurs pays africains et à priori au Rwanda.

Publier les livres pour enfants dans les langues nationales

Dans quelle langue l’auteur doit- il écrire pour intéresser les jeunes ?

Doit-il utiliser la langue nationale, la langue maternelle comprise par tous ou la majorité des citoyennes et citoyens ou est-il obligé de choisir l’une ou l’autre langues étrangères utilisées dans le pays, qui en général sont celles des anciens colonisateurs ?

Ces questions fondamentales nous ramènent à d’autres aussi importantes celles de savoir :

- la différence entre la langue nationale et la langue maternelle ?

- le rôle que jouent et la littérature de jeunesse et le livre dans le processus éducationnel de l’enfant.

Selon un chercheur rwandais Faustin Kabanza, la langue nationale se défini comme langue exprimant les valeurs, l’identité et les lois régissant les membres d’une Nation. Cette langue peut être langue officielle si sa région d’origine est politiquement neutre pour les pays ayant plusieurs langues régionales. La langue maternelle quand à elle, c’est par définition l’ensemble des signaux verbaux qui mettent en communication l’enfant avec son entourage immédiat et la communauté dans laquelle il est et évolue. C’est la langue utilisée en famille

C’est dans cette langue maternelle que l’enfant écoute les premières chansons ces berceuses que sa mère lui chante pour l’endormir,

C’est dans cette même langue qu’il écoutera les premières histoires.

C’est la première langue que l’enfant va parler.

La langue maternelle permet à l’enfant de se sentir bien chez soi avec les siens, il évolue communique, il se retrouve grâce à des repères sociaux qui régissent la communauté.

A la question de savoir dans quelle langue l’auteur de littérature de jeunesse doit-il rédiger ses livres ? Je crois qu’en optant d’écrire dans la langue maternelle de l’enfant, il est sûr d’être lu et compris sans problème, si ses histoires sont attractives.

Les livres écrits dans la langue maternelle sont intéressants pour les enfants et les éducateurs, par ce que un enfant qui lit, écrit et apprend dans sa langue maternelle dès ses premières années de l’école acquiert des bases solides pour son développement intellectuel social qui lui permet d’apprendre et de maîtriser non sans difficultés des langues étrangères.

 

Quelle langue utiliser dans l’enseignement? Langues nationales ou langues étrangères ?

Désavantages d’enseigner dans une autre langue

Les structures éducatives basées sur des langues et des cultures étrangères désaxent en quelque sorte le comportement social et intellectuel de l’enfant, qui dans la vie quotidienne, est confronté à la tradition.

A long terme, la population peu scolarisée ne pourra assimiler les nouvelles technologies enseignées dans une langue étrangère que la plupart ne maîtrise pas.

La langue étrangère étant le premier moyen linguistique de communication, cela freine inexorablement le développement économique et social.

En même temps les langues nationales ou indigènes sont relégué au rang de dialecte inutilisable comme au temps coloniaux et néocoloniaux.

Certains parents vont plus loin, ils éduquent, encouragent leur progéniture à ne s’exprimer qu’en langue étrangère devenue langue de prestige.

Ces enfants saisissent seulement des rudiments de la langue maternelle,

Ils ne peuvent pas s’exprimer correctement, linguistiquement, socialement ils sont étrangers chez eux.

Avantages : Comme je l’ai dit plus haut, l’enfant qui commence son éducation dans la langue maternelle apprend et assimile aisément, tout lui est familier. Il reste dans son environnement culturel et social.

En considérant ces critères, Ecrire, éditer, promouvoir une littérature de jeunesse en langues nationales, devient un devoir.

Exemple des Editions Bakame

Fondée en 1995 après le génocide de 1994, les Editions Bakame avaient pour objectif de donner aux enfants des livres de lecture en kinyarwanda pour les aider à surmonter les horreurs de la guerre par une lecture saine basée sur la culture. Aujourd’hui, les Editions Bakame sont la toute première maison d’édition rwandaise qui éditent des livres de jeunesse en kinyarwanda, langue nationale linguistiquement comprise par tout les rwandais.

Elles publient des contes, des documentaires, des romans pour jeunes et des albums.

Ce ne fut pas chose facile de créer une littérature de jeunesse dans un pays où l’oralité et la rhétorique ont toujours leur lettres de noblesse, où l’écriture est récente.

Au cours de ses 10 années d’existence, les Editions Bakame ont affronté d’autres difficultés liées à ce que la littérature pour enfant et les jeunes est peu connue chez nous, mais aussi des difficultés liées au passage de l’oralité à l’écriture.

C’est facile ce conter une histoire devant un public attentif, le langage du narrateur s’adapte aux gestes et regards des ses auditeurs.

Mais quand le même narrateur met par écrit son histoire, il est confronté non au regard du public mais aux exigences de l’écriture. Le langage parlé qui rendait son histoire attrayante peut donner des phrases banales et fades. Cela a été très remarqué au cours des ateliers d’écriture et d’illustrations que les Editions Bakame ont organisé avec Dominique Mwankumi, Président de Illusafrica. Grâce à ces formations dispensées par des professionnels de la littérature de jeunesse, les Editions Bakame ont fait des progrès quant à la qualité de ses publications. A part les ateliers, les Editions Bakame ont initié des animations de lecture pour mettre en contact, familiariser les enfants et les livres. Cela fut un succès réel auprès des enseignants et les parents qui ont affirmé que les enfants qui participaient à ces animations de lecture lisait et écrivait mieux.

Pour conclure

Je peux affirmer que les livres édités par les Editions Bakame en kinyarwanda ont un succès évident auprès du public des jeunes et des adultes pour des raisons suivantes

1) ils sont écrits dans une langue qu’ils comprennent tous

2) l’écriture est simple et adapté à l’âge de l’enfant

3) ils sont illustrés

4) les histoires s’inscrivent dans le contexte rwandais et africain

5) le prix unitaire est accessible

Mais les réseaux de vente et de distributions restent très faibles, par ce que le livre est un produit de luxe pour plusieurs rwandais

Il n existe pas une culture de la lecture

Les bibliothèques publics et scolaires dans les districts sont très peu

Le pouvoir d’achat de la population est très faible

Agnes Gyr/ 29 juin 06